Cour d'Assises : convoqué numéro 43



---

Nota: La date de cette note est le samedi 3 juin 2023. Et, à cette date, j'étais en famille dans le Massif de la Chartreuse, loin de mon clavier. De fait, à cette date, j'espérais être tiré au sort uniquement pour la première affaire et n'écrire qu'une seule note résumant mon expérience – par exemple « Juré 6, une semaine aux Assises ». Mais j'ai été tiré au sort une deuxième fois pour l'affaire suivante. Ainsi, cette note ci se veut un index regroupant mon expérience de quinze jours au Tribunal de Bobigny comme juré dans une Cour d'Assises.

Pour être clair, cette note ci a été écrite après toutes celles qu'elle pointe.

---



À mon tonton Régis le magistrat Démosthène.

Pourquoi écrire ? Écrire pour ne pas oublier ; « Tout ce qui reste d’une vie ce sont les notes » –– Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie. Écrire pour panser, aussi. La Cour d’Assises, quelle que soit l’affaire, c’est de la souffrance ; regarder droit dans les yeux tant la Partie Civile (plaignant) que l’Accusé, c’est être éclaboussé par toute cette souffrance. Enfin, écrire pour y penser différemment.

Le soir, pour me détendre après des longues et intenses journées au Tribunal, je regarde d’un coup d’œil distrait des séquences de films pendant un preste dîner. Puis je lis. Comme je n’arrive pas à me laisser emporter par les Alpinistes de Staline de Cédric Gras, alors je parcours des bribes du Mythe de Sisyphe ou de L'Homme révolté d’Albert Camus, ou encore la source inépuisable des Propos d’Alain. Ceci explique peut-être cela.

D'où je parle ? Étudiant à Toulouse, j'ai été membre de l'association GÉNEPI de 2004 à environ 2009/2010. Dans ce cadre, je suis intervenu en détention – soutien scolaire, tentative de rédaction d’un journal avec les détenus, sport, concert pour la fête de la musique – et ces années là j’ai aussi beaucoup lu sur la prison. Je vadrouillais ici et là, discutant sans fin avec les copains. Surtout j’ai participé à des journées thématiques, à des rencontres avec des professionnels de la prison ou gravitant autour, à des débats avec des lycéens, le grand public, parfois des élus. J’ai encore le souvenir vif d’un discours de Robert Badinter à l’Hôtel de Ville de Paris en 2005. Ou le traditionnel discours de Lionel Stoléru dans le grand amphithéâtre de Polytechnique ou celui d'HEC expliquant le choix du nom /génépi/ : cette fleur des montagnes qui pousse dans l’âpreté, comme métaphore du pont entre des étudiants qui ont « réussis » – ses mots – et des détenus aux trajectoires « moins exemplaires » – encore ses mots – ; et ce traditionnel discours finissait toujours par le trait d'humour : « mais bon la gnôle de génépi, c’est dégueulasse ! ». Je me rappelle fin 2008 ou début 2009 un discours de Jean-Marie Delarue nouvellement Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté. Bref, lors de mes années étudiantes, je me suis intéressé à l’angle mort de la Justice : comment punir ?

Au alentour de mai ou juin 2013 – 10 ans déjà ! –, j’ai lu un roman d’Alain Guyard – philosophe forain comme il se qualifie parfois. J’étais à Liège en Belgique et une après-midi de pluie – non c’était un matin et il faisait beau, je me rappelle bien ! – je lui avais écrit un courriel. Le voilà. Le contexte d'être potentiellement juré dans un procès en Cour d'Assises l’a fait remonter dans ma mémoire. Ou la concomitance : ma Maman qui m’a rendu l'exemplaire que je lui avais prêté.

• Lettre à Alain Guyard pour son roman La zonzon

J’ai reçu la convocation en avril pour une date de procès début juin. À partir du 12 avril, j’ai tenu un cahier dans lequel j’ai consigné mes réflexions. Tout se focalisait sur la question du sens de la peine. Question essentielle me semble-t-il, mais après deux semaines à siéger dans une Cour d’Assises, il y a d’autres questions qui se déploient autour de l’impartialité, des charges émotionnelles, de la crédibilité de la parole, ou encore de la cohérence opposée à la rationalité. Toujours est-il que pour alimenter mes réflexions pendant les deux mois précédant le début des procès, j’ai lu. N’ayant pas réussi à mettre la main sur L'Impossible Prison, ouvrage dirigée par Michelle Perrot, je suis tombé par hasard sur une collection de 17 textes par Roger Pol-Droit, Max Gallo, François Ewald, Jean Pinatel, entre autres, tous éclairant le travail de Foucault – collection parue sous le titre Regards critiques 1975-1979. J’ai feuilletté à nouveau la biographie intutulée Michel Foucault par Didier Eribon. J'ai relu Surveiller et Punir de Michel Foucault. D’ailleurs, ma lecture de Foucault à l’aune de mon expérience de juré mériterait une note en soi – un jour peut-être. Et hasard de calendrier, Loïc Wacquant – l’auteur de Les Prisons de la misère – donnait en mai une conférence à Librairie Compagnie (Paris 5ième) pour son dernier livre Misère de l’ethnographie de la misère  ; hélas je l’ai raté, je suis déçu.

La Justice française ne lâche pas un citoyen comme ça au milieu d'un procès pénal, quoique. La journée avant le premier procès est organisée une formation sur le rôle du juré. Un résumé étendu de ce que j'ai compris, là.

• Comment ça fonctionne une Cour d'Assises ?

À la fin de cette journée était prévue la visite de la Maison d’Arrêt (prison) de Villepinte. Cette visite a été annulée par l’Administration Pénitentiaire ; les motifs – sous-effectifs en surcharge – en disent long sur le monde carcéral français. Au-delà de ma convocation, au-delà de ma semaine comme juré dans le premier procès, en tant que citoyen soucieux de la juste mesure, je ne peux pas me satisfaire du non-témoignage concret aux jurés de ce qu’est la prison.

• Un quantum de prison sans la connaître ?