Lettre aux acquittés

Nota: Peu importe ce qui s’est réellement passé un 3 janvier 2019 dans une cage d’escalier de Seine Saint-Denis (93). D’ailleurs, personne ne le saura jamais vraiment. Un procès n'est pas la sacralisation de la parole d’une victime, cependant il ne faut pas non plus oublier qu’elle a souffert ou souffre encore. Le procès tente d’établir une juste mesure, non pas construite sur la crédibilité de la parole, mais construite sur la sincérité de la preuve. In fine, cette lettre est un acte de cohérence avec la vérité judiciaire établie par le délibéré et surtout avec le but du procés : rétablir l'équilibre.

Ayant suivi les débats pendant cinq jours du 12 au 16 juin 2023 à la Cour d'Assises de Bobigny (section 1) en tant que Juré Supplémentaire 2, je me permets, pour ce qu'il vaut, ce message à votre attention messieurs Acquittés.

Notre devise républicaine est Liberté, Égalité, Fraternité. La Cour a délibéré et, sous le prisme de cette vérité judiciaire, les mois de détention provisoire ont bafoué votre liberté. Vos conditions d'arrestation, évoquées difficiles pour ne pas dire violentes de la part des policiers, en me réservant un jugement peut-être hâtif, interrogent sur l'égalité. Que reste-t-il ? La fraternité.

Dans un élan fraternel, à titre personnel, le peu que je puisse faire est de vous présenter mes excuses pour vos conditions carcérales. Mon intime conviction – non exprimée car j’ai été juré supplémentaire de bout en bout – est scellée à jamais, comme toutes les autres d’ailleurs, dans cette chambre des délibérations. Elles n’importent plus car la Justice a été rendue au nom du peuple français. Ce devoir de citoyen qui nous appelle à siéger à la Cour d'Assises doit être cohérent, me semble-t-il, avec le délibéré. Ainsi, après la fraternité, c’est par devoir citoyen que je vous présente mes excuses pour vos détentions. Je ne me permettrais pas de qualifier spécifiquement cette détention, inutile ou pertinente, ce serait une opinion aussi approximative que partiale, j’y opposerais alors une question plus générale sur la présomption d’innocence.

Depuis mon siège, dans le coin de cette Cour, on a une vue parcellaire ; je manquerais d’humilité en disant le contraire. À la place de tomber dans la haine – faisant écho à demi-mot à une plaidoirie citant La Haine – j’espère qu'après ce procès se substituera la révolte chère à Albert Camus. « Qu'est-ce qu'un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s'il refuse, il ne renonce pas. »

Il y a déjà fort longtemps, j’ai été membre du GÉNEPI – une association estudiantine qui intervenait en détention. Expérience lacanienne : le réel, c’est quand on se cogne – faisant à nouveau écho à cette même plaidoirie. Aujourd’hui, de cette expérience, la révolte demeure. Comment ne pas être révolté par les conditions carcérales quand la Cour Européenne des Droits de l'Homme condamne régulièrement la France ? Comment ne pas être révolté par certains délibérés de Cour d’Assises quand les six jurés tirés au sort n'ont jamais mis aucun pied dans une prison ? Comment ne pas être révolté par la contradiction entre le principe de présomption d'innoncence et celui de détention dite provisoire ?

Me voilà retourné à mes activités d’ingénieur en calculs scientifiques après avoir été cogné à nouveau par le réel. Que reste-il ? La fraternité. La fraternité avec les condamnés. La fraternité avec la victime. N’oublions pas la fraternité.

Le Juré Supplémentaire 2.

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