Comment ça fonctionne une Cour d'Assises ?
Nota: Je féminise le groupe de jurées car dans les faits c’était majoritairement des femmes et pourquoi le masculin l’emporterait-il sur le féminin dans un groupe ? Je féminise aussi les personnes qui peuvent être un homme ou une femme, pourquoi serait-ce par défaut masculin ?
Comme les textes de loi parlent de juré (masculin singulier), c'est ce que je conserve.
Qu’est-ce qu’une Cour d’Assises ? La cristallisation de souffrances et une tentative de rétablir l’équilibre. Pour des faits très graves (crime), il y a trois parties en présence et un juge de paix :
- le Juge de Paix :
- le Président : c’est l’arbritre et celle qui a eu connaissance du dossier en avance donc qui anime les débats ; une magistrat professionnelle.
- les Assesseurs : deux magistrats professionnelles qui apportent leur regard sans connaissance du dossier.
- six jurées populaires tirées au hasard.
- l’Avocat Général (procureur) : elle représente le Ministère Public (l’intérêt général) et souvent cherche à apporter les preuves de la culpabilité de l’accusé.
- la Partie Civile : elle représente le plaignant.
- l’Accusé (ou les accusés) avec son ou ses Avocats.
Qu’est-ce qu’un juré dans une Cour d’Assises ? D’après le site internet du Service Public :
Un juré est un citoyen tiré au sort sur les listes électorales pour siéger à la Cour d'Assises. Il participe aux côtés de trois magistrats professionnels au procès des personnes accusées de crime – infraction la plus grave punissable par une peine de prison ; homicide ou viol. Le juré exerce pleinement la fonction de juge. Quand vous êtes retenu pour siéger lors d'une session d'Assises, vous êtes obligé de le faire sauf s'il y a un motif grave qui vous en empêche.
En somme, il faut être de nationalité française, âgé de plus de 23 ans et inscrit sur une liste électorale. En plus, il faut savoir lire et écrire en français. Comme être juré est un devoir citoyen et que voter est un droit citoyen, la condition « lire et écrire en français » pose la question du vote éclairé, sans parlé de l’égalité des citoyens; au sens Liberté, Égalité, Fraternité. Étrange, non ?
Comment est-on convoqué ? Deux étapes.
- Chaque mairie établit une liste en tirant au sort le triple du nombre de noms fixé par arrêté préfectoral pour sa commune – enlevant les personnes qui n'ont pas atteint l'âge de 23 ans. Enfin, la mairie transmet la liste au Greffe de la Cour d'Assises – il y en a une par département.
Pour chaque session d'Assises, le Tribunal tire au sort en public, à partir de la liste annuelle des jurées de l’étape #1 :
- 35 noms pour former la liste titulaire,
- 10 noms pour former la liste supplémentaire.
En Seine-Saint-Denis, pour ma session, cela est, respectivement, 45 et 24 noms. Ensuite, le Greffier convoque les 35+10 (ici 45+24) personnes par courrier précisant le lieu, la date et la durée estimée de la session.
Je suis le numéro 43 de la liste titulaire. Cela signifie que j’ai été le quarante-troisième nom tiré au sort à l’étape #2. La session du lundi 5 juin au vendredi 16 juin comporte deux affaires (procès) : une tentative de meurtre et un viol commis en réunion. La seconde affaire est une Cour d’Assises des mineurs car deux des cinq accusés étaient mineur au moment des faits.
La journée de formation. Le premier jour (lundi 5 juin) est appelé une formation. C’est plutôt un appel de tous les présents et une validation des dispenses. Pour être explicite, de 9h à 10h10, la Greffière et l’Huissier appellent successivement les 69 (45+24) convoquées. Beaucoup sont absents (non-touchées). Par exemple, sur les 24 de la liste supplémentaire, seuls 15 sont présents. Chacun donne son nom, prénom, âge (date de naissance) et profession, puis résume s'il fait une demande de dispense. Le Président de la Cour et l’Avocat Général entrent pour examiner les demandes de dispenses, ici à 10h20. Le Président refait l’appel et chaque personne demandant une dispense vient à la barre :
- « J’ai plus de 70 ans. »
- « B1 » (un casier judiciaire) – « Réhabilité ? » (“prescription”), si la réponse est « oui » alors le Président rétorque « Non dispensé ».
- « Certificat médical » et l’Avocat Général est strict : « Travaillez vous ? », et si la réponse est « oui » alors l’Avocat Général rétorque « Je ne vois pas de raison de dispenser », le Président de la Cour décidera.
Puis à 11h15, la Cour se retire pour examiner les dispenses. Pendant ce temps, un petit film sur le rôle du juré est projeté. Les messages que je retiens :
- Une bonne peine est une peine juste.
Article 353 du Code Procédure Pénale,
« Sous réserve de l'exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d'assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : “Avez-vous une intime conviction ?” ».
- On juge des faits mais aussi des personnalités.
- La loi ne définit pas ce qu’est un crime, c’est la peine (maximale) encourue qui mène à la Cour d’Assises.
- Le doute doit profiter à l’accusé.
- Quatre principes du procès en Cour d'Assises :
- oralité, tous les éléments à charge et décharge sont discutés là,
- contradictoire, chaque partie (la Cour et les jurées, la Partie Civile, l’Avocat Général et les Avocats des accusés) parle chacun à leur tour pour évacuer le doute,
- impartialité,
- présomption d’innocence, c’est l’Avocat Général (procureur) représentant le Ministère Public qui doit apporter les preuves de culpabilité et non l’accusé qui doit prouver son innocence.
Comment est-on tiré au sort pour être effectivement juré au procès ? Quand le procès s’ouvre (ici le lendemain, i.e., mardi 6 juin), le Président refait l’appel des jurées dans l’ordre de leur numéro d’attribution à l’étape #2 précédente. Il faut 20 noms qui seront écrits sur des jetons indiscernables et placés dans une boite opaque. Autrement dit, les 20 premiers noms seront potentiellement tirés au sort pour être juré au procès. Ici, seuls 18 sur la liste des titulaires étaient présents. Or pour que le procès ait lieu, il faut au moins 20 noms dans la boite. Donc même en étant numéro 43, mon nom était dans la boite, ainsi que les 2 premières jurées présentes de la liste supplémentaires. Une fois le nom dans la boite, il n’y a plus de distinction entre les listes dite titulaire et supplémentaire.
Au début du procès, le Président tire au hasard un premier nom. L’Avocat Général ou les Avocats des accusés peuvent récuser le nom sans aucune motivation. Si la personne n’est pas récusée, alors elle devient juré et vient s’asseoir au siège sur l’estrade indiqué par l’Huissier. Dans le cas d’une récusation, un autre tirage est fait. L’Avocat Général peut récuser 3 personnes et les Avocats des accusés (tout confondu) peuvent en récuser 4. Et ainsi de suite pour avoir les 6 jurées. Enfin, 2 autres jurées sont tirées au sort pour être supplémentaires ; exceptionnellement à la place de 2, cela peut être 3 dans le cas d’un long procès.
Les jurées dites supplémentaires sont aussi assises sur l’estrade, avec le Président, les deux Assesseurs, et tous les autres jurées. Les jurées supplémentaires suivent tous les débats au même titre que les autres jurées. Si un juré ne peut être présent pour un motif impérieux – même pour 5 minutes –, il est disqualifié car ce qu’il a raté des débats pourrait modifier son « intime conviction ». Dans ce cas, il est remplacé par un juré supplémentaire.
Pour être clair, j’ai été « Juré 6 » donc le sixième non-récusé sur les vingt noms dans la boite. Et j’ai été « Supplémentaire 2 » donc le huitième non-récusé sur les vingt dans la boite – il y a eu 4 et 2 récusations dans cette affaire, par conséquent j'ai été le quatorzième tiré au sort. En tant que « Supplémentaire 2 », cela signifie que deux jurées auraient dû être disqualifiées pour que je devienne un juré avec le pouvoir de vote.
Une question récurrente venant des séries TV américaines : non il n’y a pas de marteau ni de « Objection votre Honneur ». D’ailleurs, c’est « Monsieur le Président », ou madame.
Pour finir, comment fonctionne les délibérations ? Après plusieurs jours de débats, la Cour et les jurées se retirent dans la chambre des délibérations. Cette pièce ne sera ouverte qu’une fois le délibéré finalisé ; cela peut durer plusieurs heures, disons 5h, 8h, peut-être plus. La communication avec l'extérieur est interdite – la salle possède un point d'eau et des toilettes, il faut prévoir à manger – ; les six jurées, les jurées supplémentaires et les trois magistrats ne sortiront de cette chambre qu'une fois le délibéré rédigé. Tout ce qui est dit dans cette pièce est secret et ce secret protège la liberté de parole de chacun. Pour être précis, le non-respect du secret dans la chambre des délibérations fait encourir une peine d'un an d'emprisonnement et une amende de 15000€.
Dans cette chambre des délibérations se trouve les 3 magistrats professionnelles (le Président et les deux Assesseurs), les 6 jurées et les jurées supplémentaires. Il y a peu de chance qu’un juré supplémentaire soit requis à ce stade mais ne sait-on jamais – un malaise ou une urgence par exemple. Comme précédemment, pour que son « intime conviction » soit éclairée et non-biaisée, le juré supplémentaire ne peut rien manquer.
Pour établir la culpabilité ou l’acquittement, il y a un vote. Le premier point : la question est précise, c’est-à-dire que la réponse ne peut être que « oui » ou « non ». Il faut relever que tout autre réponse que « oui » ou « non » est favorable à l’accusé. Autrement dit, voter blanc ou nul est considéré comme « non », c'est-à-dire favorable à l’accusé. Pour déclarer la culpabilité, il faut 7 votes « oui » sur les 9 nécessairement exprimés ; toutes les voix sont égales. Ce ratio apparaît beaucoup mais si les 6 jurées populaires étaient injustes, il faudrait aussi au moins un magistrat professionnel – ou si les 3 magistrats imposaient leur autorité, il faudrait aussi plus de la moitié des jurées non-professionnelles. A contrario, pour l’acquittement il faut 3 votes « non » sur les 9 nécessairement exprimés.
Les jurées écrivent « oui » ou « non » sur un bulletin secret qui est ensuite placé dans une urne. Puis ces bulletins sont comptés et ouverts au hasard. Quand sept « oui » est atteint, on s’arrête et les bulletins restant ne sont pas ouverts. De manière équivalente, quand trois « non » est atteint, on s’arrête et les autres bulletins restent secrets et ne sont pas ouverts. Après chaque vote, tous les bulletins sont détruits.
Dans le cas d’une culpabilité établie, il faut ensuite voter pour une peine, par exemple un nombre d’années de prison. Même si un juré a voté pour l'acquittement au tour précédent, il faut s'en abstraire et admettre que l’accusé est déclaré coupable pour voter la peine. Pour être exhaustif, il faut distinguer deux cas : suivant si ce nombre d’années est supérieur ou inférieur à 10 ans. Pour plus de 10 ans, il faut 7 bulletins et pour moins de 10 ans, c’est 5 bulletins. Cette limite des 10 ans correspond à la réclusion criminelle.
Comment atteindre ce ratio de 7 ou 5 bulletins avec le même nombre d’années de prison inscrit sur les bulletins quand la fourchette peut être dans certains cas de 1 an à 30 ans ? On dépouille les bulletins, et comme précédemment, une fois le ratio atteint les bulletins restant ne sont pas ouverts. Si le ratio n'est pas atteint, alors tous les bulletins ont été ouverts. Dans ce cas, on enlève le nombre maximal et il devient obligatoire de voter au tour suivant pour un nombre strictement inférieur à ce maximum. Et ainsi de suite jusqu'à atteindre le ratio de 5 ou 7. Même en partant d'un écart assez important au début, le nombre de tours reste limitié ; la convergence est assez rapide.
Tous ces votes peuvent paraître difficiles, et ils le sont ! Leur gravité et leur implication sont lourds. Cependant, les jurées sont empreignées de plusieurs jours de débats et la chambre des délibérations ressemble plus à un lieu éclairé où l’intelligence collective prime plutôt qu’à une supperposition d’invidualités.