Lettre à Alain Guyard (auteur de La zonzon)
Nota: Au alentour de mai/juin 2013 – 10 ans déjà –, j’ai lu un roman d’Alain Guyard – philosophe forain comme il se qualifie parfois. J’étais à Liège en Belgique et une après-midi de pluie – non c’était un matin et il faisait beau, je me rappelle bien ! – je lui avais écrit un email. Le voilà. Le contexte d'être potentiellement juré dans un procès en Cour d'Assises le fait remonter dans ma mémoire.
« On remonte le temps au fur et à mesure que l'index s'approche des rivages de l'Indus, surpomble le Gange, hésite et flotte au-dessus de l'océan Indien, de la mer d'Oman. » —– Alain Guyard, La zonzon.
salut Alain,
Je viens tout juste de finir votre roman « La zonzon », et même si vous devez vous carafer de mon avis comme de la marque de votre première mousse, cela m’a rappelé mes années estudiantines, alors je mets à fond « Cayenne » des Amis d’ta Femme et vous dis, au cas où.
J’ai tourné autour de la zonze entre 2004 et 2009, en tant qu’étudiant membre du génépi, l'association, pas la gnôle au goût contestable, enfin vous voyez sûrement. Dans ce cadre là, je suis intervenu au Centre de Détention de StSulpice dans le Tarn où, avec d'autres collègues et les prisonniers, on a timidement tenté de réaliser un journal, et au Centre de Draguignan où j'ai fait le pitre sur un terrain de foot un été. Bref! c'était pour situer.
En lisant votre livre, j’ai re-ressenti cette réalité qu’est la prison. D’ailleurs, quand on me demande : « comment que c'est ? dedans ? », ma réponse est toujours la même, ma première fois. Forcément on a une image de la prison, véhiculée par le cinéma, les mythes urbains, et quand on rentre, hébé cela ne ressemble en rien à cet imaginaire collectif, construit on ne saurait trop sur quoi mais passons. La première fois que je suis rentré, je n’ai ni vu le bagne de Cayenne ni vu le Club Med. Ah c’est sûr, c’était terrible et perturbant, mais complètement différent, différent de l'image initiale. Cependant, ce qui m’a le plus chamboulé, ce n’est pas la prison, le lieu bruyant, fermé, gris, rigide, insalubre, ni les barreaux et les souris (dont l’appareil quasi-inutile que l'on met dans la poche, au cas où ? et que vous décrivez avec justesse), non ce n’était pas le lieu, mais c’était d’en sortir, re-passer l’enceinte, la porte et de sentir à ce moment là tout le poids de la prison, en tant que lieu dégradé et dégradant, en tant que punition au delà du simple aller-et-venir, en tant qu’institution totale. Les pages de votre livre m’ont rappelé cela.
Ensuite, par la multiplication des portraits, je vous vois soulever la complexité des prisonniers. Certes, on pourrait faire des statistiques, des moyennes et variances, Combessie, Mucchielli ou encore Wacquant l'ont fait et en ont tiré une sociologie de la prison, et certes c'est passionnant, très instructif. Cependant, dans mon souvenir, je n'ai pas rencontré les monstres de Lombroso si cher à Sarko, mais simplement des bonshommes, ah oui parfois braqueur, dealeur, voleur, pointeur, et souvent paraît-il innocents, mais des bonshommes avant tout, avec leur histoire, leur trajectoire de vie. Et votre livre m'a renvoyé cela.
Pour tout vous dire, j'ai eu un peu de mal avec votre langue fleurie. Enfin, personne ne m'a parlé comme ça, peut-être un vieux braquo de l'ancienne école, et encore. Les gens que j'ai rencontrés, c'était plutôt wesh-wesh de la téci. Alors je me suis demandé pourquoi ce choix ? Bon je ne sais pas, supputons. Il est clair que pour donner du réalisme, un peu de crédibilité à la fiction, une langue verte s'impose. Pour décrire ce champ qu'est la prison, il fallait évidemment y placer des fleurs. Le verlan n'ayant peut-être pas l'effet littéraire d'un certain argot de boucher du XIX. Hum? peut-être. Toujours est-il que cette remise à distance dans le dire m'a quelque peu rappelé des leçons que j'ai prises, l'existence de mondes différents.
Et pour conclure, l'histoire d'amour et ce qu'elle évoque pour moi. Au fil des interventions qui se suivent et se répètent, la prison finit par devenir un lieu de non-mort, un lieu de survie, peut-être de vie, et par conséquent, un lieu de rencontres, de rencontres singulières dans un lieu singulier, entre l'intérieur et l'extérieur, entre les intervenants eux-mêmes. Je ne sais pourquoi, par quelle force, quelle attraction, les gens qui gravitent autour de la prison ont tendance à s'aboucher. Peut-être un certain idéalisme, une certaine vision en commun. Toujours est-il que j'ai lié des fortes amitiés persistantes, vécu quelques amours, ni contingentes ni nécessaires, simplement abruptes, passionnées et toujours révolutionnaires. Et votre livre m'a rappelé l'intensité, parfois la violence, des relations tissées au dehors via la prison, comme une sorte de reflet de celle-ci.
Pis aussi faut dire que je me suis laissé prendre au jeu de l'intrigue… même si personnellement je n'aime pas trop le dernier chapitre…
Ah je pourrais encore préciser quelques évocations, mais la chanson est finie, alors retour à mon présent.
Voilà.
Merci pour votre livre.
Merci pour votre discours sur la prison.
Nota: J'ai reçu deux réponses de la part d'Alain Guyard. L'une en date du 3 juillet 2013 et puis une autre en date du 18 octobre 2016. Étant une correspondance privée et n'ayant pas son autorisation – forcément car je ne lui ai pas demandé – alors ses deux réponses ne seront pas publiées.