Lettre à Régis
Nota. Mon oncle Régis est décédé lundi 23 septembre 2024 ; emporté par la maladie d’Alzheimer, comme ses frères Michel, Bernard et Philippe. Que nos souvenirs pensent aussi à mes oncles Alain et François partis trop tôt. Les lignes ci-dessous est le texte que ses frères et sœurs ont lu à l’office vendredi 27 septembre 2024.
Je le reproduis ici comme le bouclier de Mnémosyne face à l’épée de Damoclès.
L’identité se nourrit de la mémoire ; je n’oublie pas d’où je viens.
Dans la famille, nous avons peut-être la tête qui yoyotte un peu mais notre cœur n’oublie rien. Aujourd’hui si les mots se dérobent, c’est qu’ils restent étouffés par notre chagrin. Régis, notre frère, il y a déjà quelques temps que tu t’es perdu, frappé par ce terrible mal. Maintenant délivré, tu pars pour toujours. Notre espérance : que tu rejoignes la paix, que tu retrouves nos frères, nos parents, les personnes que tu as tant aimées.
Il n’y a pas de formule de consolation. La seule inconnue est de faire face à ton absence. Tu laisses en nous un vide et nous en avons le vertige. Alors nous nous réfugions dans la nostalgie, dans nos souvenirs, dans le passé. Alors nous nous abandonnons à la mélancolie, cette soupape qui laisse déborder notre tristesse.
Et pourtant nos souvenirs sont joyeux. Nous nous rappelons ta jovialité, ta vitalité, ta force de caractère, ta générosité. Ces jours-ci, c’est ce que nous avons partagé réuni·e·s autour de toi. Au milieu de notre peine, nos souvenirs expriment notre joie à tes côtés.
Nous te revoyons avec ton chapeau et tes dossiers sous le bras te rendre au Palais de Justice. Et quels dossiers ! Avec patience tu dénouais les nœuds, même les plus serrés. Parfois, nous demandions conseils, ou plutôt disons une petite faveur administrative, une petite entorse au règlement, une petite exception quoi. Attention, nous repartions habillé·e·s pour l’hiver.
Nous te revoyons plongé dans tes bouquins. Nous n’y comprenions pas grand chose et avec soin et application tu nous expliquais. Oui tu avais à cœur de transmettre.
Nous te revoyons fier comme un pape au volant de ta décapotable. D’ailleurs, nous sommes convaincu·e·s que tu te perdais exprès pour dénicher dans un détour un bout de culture, un monument, une bonne occasion de rassasier ta curiosité.
Nous nous rappelons la convivialité autour d’un bon repas, parfois épicurien, à discuter et croiser nos points de vue. Et les rires. Qu’est-ce que nous avons ri ! Et parfois pleurer.
Nous nous rappelons les épreuves que nous avons surmontées ensemble.
Nous nous rappelons les épreuves que tu nous as aidées à traverser.
Nous nous rappelons tous nos échanges et ils nous manquent.
Régis, notre frère, tu nous manques.
Tu es encore un peu là. Luc, Claire, Matthieu et Jean-François, et tes petit-enfants, à travers une mimique, une malice, l’accentuation d’une phrase, une ressemblance, oui tu es encore là. Surtout, à leurs façons, ils font vivre tes principes et tes valeurs. Oui tu es encore avec nous.
Entre frères et sœurs, nous nous sommes toujours soutenu·e·s, présents l’un pour l’autre.
Tu as embelli ce lien de notre fratrie et tenu comme fil conducteur : la fraternité.
La fraternité, c’est la famille, c’est s’entraider.
C’est aussi l’amitié.
C’est accueillir sans jugement.
C’est être généreux et convial.
C’est s’intéresser à la culture de l’autre.
C’est être passeur de savoirs.
C’est chercher la concorde et la juste conciliation dans le brouhaha des querelles.
Régis, avec modestie tu as essayé d’incarner la fraternité, n’est-ce pas ? Sache qu’elle vit encore. Elle résonne en nous. Par dessus tout, nous la voyons chez tes enfants, chez tes neveux, chez tes nièces.
La pudeur nous a retenu de te dire que nous t’aimions. Il n’est jamais trop tard, et peut-être pour la première fois, nous te le disons, Régis, notre frère : nous t’aimons.
Adieu Régis. Adieu notre frère.
Variation :
La fraternité, oui c'est la famille. C'est s'entraider. C'est aussi l'amitié : répondre présent en tout temps. La fraternité, c'est donner sa confiance à l'autre sans condition, c'est une valeur de l'avenir. C'est être passeur de savoirs. C'est accueillir sans jugement. C'est être généreux et convivial. La fraternité, elle resserre les rangs derrière un drapeau commun, elle est cet effort pour supporter ses coéquipiers, elle écoute les étrangers, elle apprend la langue de l'autre, elle cherche la concorde et la juste conciliation dans le brouhaha des querelles.
La fraternité, entre valeur chrétienne et valeur républicaine.